Esquisse pour une auto-analyse
Description
Je n’ai pas l’intention de sacrifier au genre, dont j’ai assez dit combien il était à la fois convenu et illusoire, de l’autobiographie. Je voudrais seulement essayer de rassembler et de livrer quelques éléments pour une auto-socioanalyse. Je ne cache pas mes appréhensions, qui vont bien au-delà de la crainte habituelle d’être mal compris. J’ai en effet le sentiment que, en raison notamment de l’amplitude de mon parcours dans l’espace social et de l’incompatibilité pratique des mondes sociaux qu’il relie sans les réconcilier, je ne puis pas gager – étant loin d’être sûr d’y parvenir moi-même avec les instruments de la sociologie – que le lecteur saura porter sur les expériences que je serai amené à évoquer le regard qui convient, selon moi.
En adoptant le point de vue de l’analyste, je m’oblige (et m’autorise) à retenir tous les traits qui sont pertinents du point de vue de la sociologie, c’est-à-dire nécessaires à l’explication et à la compréhension sociologiques, et ceux-là seulement. Mais loin de chercher à produire par là, comme on pourrait le craindre, un effet de fermeture, en imposant mon interprétation, j’entends livrer cette expérience, énoncée aussi honnêtement que possible, à la confrontation critique, comme s’il s’agissait de n’importe quel autre objet.
Pierre Bourdieu